Christophe Blocher: «C’est aux autres de me dire non!
Interview dans «Le Matin» du 15 novembre 2008
Interview: Ludovic Rocchi
Vous soufflez le chaud et le froid sur votre envie de revenir vous représentez devant cette Assemblée fédérale qui vous a éjecté le 12 décembre dernier. Mais, avouez-le, vous venez de prendre votre revanche, non ?
Blocher:C’est très mal me connaître que de croire que j’ai une revanche personnelle à prendre. Bien sûr que je n’ai aucune joie de constater qu’un parlement a été capable de rejeter du gouvernement un parti qui pèse 30% de l’électorat. Mais, je fais depuis trop longtemps de la politique pour savoir que tous les coups sont permis et m’en émouvoir personnellement…
A bout de force, M. Schmid a fini par jeter l’éponge. Vous devez être satisfait, depuis le temps que vous estimez qu’il n’était pas à sa place ?
J’ai travaillé avec M. Schmid et je le connais bien. Nous avons eu l’occasion d’affronter nos désaccords. Mais face à sa démission, je ne nourris pas de sentiment de satisfaction. C’est tragique, car M. Schmid est quelqu’un qui a toujours trop intériorisé et cela finit par faire du mal. Pour ce qui concerne l’avenir de l’armée, c’est par contre un soulagement, car il y a peut-être cette fois le moyen de redresser la situation, comme c’était le cas au début de mon mandat au Conseil fédéral quand j’ai du résoudre le grave problème des abus dans l’asile.
Pour relever le défi, de nombreux candidats UDC se profilent. Comment vous préparez-vous à cette concurrence interne, puisque vous ne dites pas non?
Je ne me prépare pas pour une guerre de personne. Ce n’est pas un jeu ! L’heure est grave face à une situation de crise pour l’économie et pour l’armée. Nous allons donc au-devant d’une lourde responsabilité à porter avec un seul représentant UDC au gouvernement, alors que nous aurions droit à deux sièges. Et, surtout, les autres font tout faire pour attaquer celui ou celle qui sera élu. Car, on ne nous loupera pas, si nous ne parvenons pas à redresser le Département de la défense, après avoir dit qu’il était si mal géré e qu’il ne fonctionne pas. Pour affronter ce défi, il faut donc quelqu’un de très solide.
Quand on entend, on sent que vous vous sentez appelé par cette mission, non?
Mais ce n’est pas une question d’envie personnelle ! C’est au parti et au groupe parlementaire de choisir la personne qui peut s’assumer cette lourde mission et qui combattra également par exemple contre l’adhésion à l’UE.
Pourquoi ne convenez-vous pas plutôt que votre tour est passé ?
Ah, on m’aimerait tellement que je dise que je ne veux plus ! Et ensuite on pourrait dire m’aurait bien élu, mais que, voilà, j’ai renoncé de moi-même. Non, les autres doivent annoncer la couleur et dire s’ils ne veulent plus ni moi ni la politique de l’UDC ! A part la gauche, les radicaux et le PDC n’ont pas encore dit clairement qu’ils excluent de me réélire.
Vous jouez sur les mots, ce paraît clair…
Il ne suffit pas que Messieurs Pelli ou Darbellay se prononcent personnellement et disent que je n’aurais aucune chance d’être élu ou qu’ils ne me veulent pas, sans indiquer les raisons. Il faut que les groupes parlementaires décident clairement. Mais, ils ne savent plus trop quoi faire, à force d’avoir voté contre Blocher puis pour Blocher en croyant m’emprisonner au Conseil fédéral et ensuite m’éjecter car l’UDC a gagné comme jamais….
Parlons un peu de l’UDC. Votre parti n’est plus aussi homogène que vous le voudriez, non?
Le parti reste très uni. Mais au niveau de nos parlementaires, c’est différent. Ils ont tous été élus sur un programme très clair, qui nous a fait gagner les élections fédérales comme jamais. Ils ne s’en sont pas distancés sur le moment. Mais maintenant qu’ils voient qu’il faut travailler dur pour défendre ce programme contre tous, certains se disent que ce serait moins fatiguant si on cédait aux intérêts des autres partis.
Le retour de l’UDC au Conseil fédéral serait donc une solution de facilité, selon vous ?
Nous devons tout faire pour y retrouver notre place, mais pas à tout prix. Voyez comme les autres partis sont déjà en train de mettre leurs conditions. Nous ne devons pas l’accepter et revivre ce que nous avons vécu avec Samuel Schmid. Maintenant, de savoir si nous revenons, si c’est avec Blocher ou pas, ce n’est pas à nous de le décider. Les autres doivent dire s’ils nous veulent ou non !
Mais tout le monde veut en fait le retour de l’UDC. Même les socialistes sont pour. Un comble, non ?
Les socialistes ont remarqué qu’ils sont desservis de devoir porter la responsabilité gouvernementale face à l’opposition constructive de l’UDC, qui défend par exemple le plan de soutien à la place financière et donc à toute l’économie. Sur le fond, il est juste de dire que l’UDC doit faire partie de notre système de concordance, qui veut qu’on élise des représentants de partis dont on ne partage pas les idées pour gouverner ensemble. C’est la force de la Suisse. Le problème, c’est que quand il s’agit de l’UDC, on exige que nous partagions le programme des autres !
Vous exagérez : le PDC est par exemple déjà en train de nuancer son exigence selon laquelle les candidats UDC devraient défendre la libre circulation des personnes?
Oui, bien sûr, le PDC se rend compte qu’il perd des voix en s’opposant par trop à notre présence au Conseil fédéral. Car, leur base n’a pas compris le coup du 12 décembre dernier et le PDC l’a déjà payé lors de plusieurs élections cantonales ces derniers mois. Donc, oui, nous avons de bonnes chances de revenir au gouvernement. Mais je ne peux pas encore vous dire si notre choix sera respecté…
Et que vous conseille Silvia?
A 68 ans, n’êtes-vous pas trop âgé pour porter la charge de conseiller fédéral, surtout quand on voit ce qui est arrivé à Hans-Rudolf Merz et à Samuel Schmid ?
Mes opposants ont toujours épié ma forme et trouvé soudain que je parlais moins vite., Quelqu’un espérait même que j’avais besoin d’un psychiatre ! Mais, non, vous le voyez, je suis en bonne santé ! Et j’ai un avantage, j’ai toujours vécu la politique avec un maximum de pression et des attaques parfois très violentes. J’ai donc appris à vivre avec et ne pas me laisser ronger de l’intérieur…
Et que vous conseille votre épouse, Silvia, elle qui a vous a toujours épaulé de près dans votre carrière politique ?
Elle n’est très contente de ce qui se passe, car elle a vraiment espéré que Berne c’était fini ! Quand elle a entendu que le groupe UDC des Chambres fédérales ne voulait pas que je sois retenu comme unique candidat à la succession de Samuel Schmid, elle a ouvert une superbe bouteille de vin de 1940, mon année de naissance, au repas du soir. Et elle m’a dit que c’était pour fêter la perspective de ne pas devoir retourner vivre à Berne !