Blocher: «En cas de crise grave, l’abandon de la libre circulation est envisageable
Interview dans «24 Heures/Tribune de Genève» du 10 janvier 2009
Interview: Romain Clivaz
Christoph Blocher (UDC) ne soutenait pas le référendum contre la libre circulation. Mais maintenant qu’il a abouti, le Zurichois et son parti font campagne avec les opposants. Il estime que la Suisse ne prend aucun risque en disant non le 8 février.
Sur la libre circulation, avec vous, c’est une fois oui, une fois l’abstention, une fois non. Votre non est-il définitif?
Blocher: Je comprends que l’on ne m’ait pas toujours bien compris. Pour résumer, je suis favorable à la reconduction et suis opposé à l’extension à la Roumanie et à la Bulgarie. C’est ce qui m’a amené à prôner le non le 8 février. Le paquet noué par le parlement, qui lie la reconduction et l’extension, est indigne de notre démocratie. On ne peut plus dire librement oui ou non à l’un ou à l’autre objet. En votant non, on peut corriger cette tromperie démocratique.
C’est pourtant vous qui aviez négocié l’extension. Vous n’êtes plus d’accord avec vous-même?
J’ai négocié en tant que ministre, pas en tant que personne. Et je n’ai pas mené les négociations à terme, n’étant plus au gouvernement. Sans briser le secret de fonction, je peux vous dire que je ne souhaitais pas négocier sur l’extension à la Roumanie et à la Bulgarie. Nous aurions pu, comme je le souhaitais, poser comme condition préalable à toute discussion que le différend fiscal avec l’UE soit résolu. Je n’ai pas été suivi au Conseil fédéral.
Qu’est ce qui ne vous convient pas dans les textes soumis au vote?
Il faut de meilleures possibilités d’expulsion. On doit pouvoir le faire même si une personne n’a pas de domicile fixe dans son pays, par exemple les gens du voyage. Je n’aurais pas signé cet accord tel que présenté.
Pourquoi la Suisse serait-elle envahie, alors que l’entrée sans visa est déjà possible?
Regardez les discussions au sein de l’UE. Plusieurs pays ralentissent l’ouverture vis-à-vis des deux nouveaux membres, dont le Royaume-Uni et la Hollande. En Italie, l’afflux qui avait commencé avant la libre circulation se poursuit. Nous n’échapperons pas à ce phénomène continental.
Selon vous, le non serait «utile» à l’économie. Pourtant, l’ensemble des organisations soutient le oui. Ne vous sentez-vous pas un peu seul?
Cela n’a rien de nouveau! En 1992, l’économie s’était déjà rangée comme un seul homme derrière l’entrée dans l’Espace économique européen (EEE). Mais les entrepreneurs ont aujourd’hui une vision à court terme. Pensez au pillage de nos assurances sociales, pour lequel nous devrons tous, employés et employeurs, passer à la caisse.
Soyez plus précis…
D’une part, nous aurons beaucoup plus de chômeurs. Un Polonais, par exemple, touche environ 54% de son dernier salaire chez lui, contre 80% en Suisse. En Roumanie et en Bulgarie les taux sont encore plus bas. Pensez-vous que les gens vont rentrer? A cela s’ajouteront les prestations sociales, comme l’assurance maternité, l’assurance invalidité ou l’aide sociale dans les communes.
Mais n’est-il pas normal que ceux qui cotisent aient les mêmes droits que les Suisses?
Bien sûr, mais là n’est pas le problème. Quand il y a plus de monde et moins de travail, il y a davantage de chômage. Avant, nous n’avions pas de problèmes de recrutement et les étrangers qui n’avaient plus de contrat partaient. Maintenant, nous devons les traiter comme des Suisses, soit assurer leur subsistance pendant plusieurs années, entre chômage et aide sociale.
Seriez-vous prêt à résilier complètement la libre circulation des personnes?
Non. Mais cet accord est le fruit de la haute conjoncture. Si une crise grave devait arriver, nous devrions même envisager de la dénoncer complètement. Mais pas à présent.
N’avez-vous pas peur des dégâts d’image en cas de non?
C’est toujours la même histoire… Peut-être qu’auprès des politiciens, il y aura des dégâts d’image. Mais pas du côté des peuples européens, qui envient plutôt notre position.
En cas de non, la clause guillotine annulera-t-elle les sept
premiers accords bilatéraux?
Non. Il n’y a pas d’automatisme. Le Conseil fédéral doit demander la résiliation de l’accord sur la libre circulation des personnes pour que la guillotine tombe. Or s’il y a un non le 8 février, on ne saura pas si c’est à cause de la reconduction ou de l’extension. Cas échéant le gouvernement pourrait revenir au parlement avec la reconduction, qui ne devrait pas être combattue, et renégocier l’extension à la Roumanie et la Bulgarie.
Mais l’UE pourrait dénoncer les premiers accords, deux de ses membres étant discriminés…
Elle ne prendra pas ce risque. L’accord sur le transport terrestre est par exemple trop précieux pour des pays comme l’Italie, la Hollande, l’Autriche ou la France.
Ce n’est pas ce que dit l’ambassadeur de l’UE, pour qui si c’est non le 8 février, la guillotine tombe…
Ce ne sont que des menaces, Mais elles sont inacceptables. Si j’étais ministre des Affaires étrangères, je le convoquerais pour des clarifications. C’est comme si l’ambassadeur suisse à Berlin donnait des leçons de fiscalité à l’Allemagne. La Suisse est un état souverain et l’UE en est un autre.