La voix du peuple n’est pas la voix de dieu
Interview du 29 juillet 2011; 24 heures, Nadine Haltiner
Christoph Blocher est un homme vivant et bien vivant. Le Zurichois que les experts jugeaient politiquement mort, suite à son éviction du Conseil fédéral en 2007, revient sous les feux de la rampe en étant candidat au Conseil des Etats et au National en octobre prochain. Il a certes pris un petit coup de vieux et fait de grands yeux lorsqu’on lui parle de technologies modernes, mais l’esprit du combattant est toujours là. Ces cibles n’ont d’ailleurs pas changé depuis 1979: elles se nomment immigration massive et invasion européenne. A 70 ans, le vice-président de l’UDC mène sa dernière guerre pour l’indépendance de la Suisse. Et, pour la remporter, il est prêt à mourir sur scène. Interview.
Monsieur Blocher, n’êtes-vous pas trop vieux pour siéger au Parlement ?
Non, j’ai beaucoup d’expérience. C’est d’ailleurs pour cela que les jeunes UDC sont venus me chercher. Même si j’avoue que j’ai un peu moins d’énergie qu’eux.
Ne craignez-vous pas de tomber malade, de devenir sénile?
Peut-être que ma santé me lâchera un jour, mais ces 50 dernières années, je ne suis allé à l’hôpital qu’une fois. C’était quand je siégeais au Conseil fédéral pour une opération de l’intestin. Et personne n’en a jamais rien su! Peut-être que j’aurai moins de repartie avec l’âge, mais, pour l’heure, je suis en pleine forme et déborde d’énergie.
Faites-vous campagne sur Facebook?
Face… quoi? (Ndlr. Son porte-parole lui explique qu’il a dix profils ouverts à son nom, mais aucun compte officiel.) J’avoue que je ne suis pas un amateur de ces technologies. Je n’ai pas de télévision, ne vais jamais sur Internet et ne sais pas me servir d’un iPhone. Cela ne me manque pas et me permet de rester concentrer sur l’essentiel.
L’essentiel pour vous se résume aux mêmes thèmes depuis trente ans…
C’est qu’ils sont toujours d’actualités! Je milite pour que la Suisse reste autonome face à l’Europe et prenne ses propres décisions. Ces quatre prochaines années seront d’ailleurs cruciales car nos relations avec l’UE seront au centre des débats. C’est pour cela que je veux revenir au parlement. Contrairement à ce que disent mes détracteurs, je ne reviens pas pour me venger de mon éviction du Conseil fédéral, mais bien pour défendre mes idées.
L’une d’elles est la limitation de l’immigration en Suisse. Votre parti vient de lancer une initiative pour renégocier la libre circulation avec l’Union européenne. En tant qu’ancien patron, y croyez-vous vraiment ou cherchez-vous un thème de campagne?
C’est vrai que cette initiative permet de rappeler nos positions aux électeurs. Mais je crois sincèrement que l’immigration est trop importante en Suisse. Elle fait augmenter les loyers, surcharge nos transports, met sous pression les salaires. Il faut réintroduire des contrôles aux frontières. S’assurer que les emplois sont offerts aux Suisses d’abord. Faire en sorte que les immigrés viennent en Suisse seulement lorsqu’ils ont un contrat de travail. Et instaurer des contingents maximums par année.
Combien la Suisse peut-elle accueillir d’étrangers?
C’est délicat d’avancer des chiffres. Mais ce qui sûr c’est qu’en quatre ans, il y a eu 320 000 personnes supplémentaires! Aucun pays ne peut supporter un tel nombre et aucun pays du monde ne connaît une telle libre circulation.
Vous parler de pression sur les salaires et pourtant votre parti a toujours refusé d’instaurer davantage de mesures d’accompagnement et de contrôles…
Ces mesures sont des outils de régulation. Mais il est bête d’ouvrir les frontières s’il faut ensuite prendre sans arrêt des mesures supplémentaire pour les contrôles. En plus, c’est une perte de temps de devoir aller vérifier chaque cas de dumping salarial de manière isolée. Il faut une solution globale négociée avec Bruxelles.
Mais votre solution ne plaît pas à EconomieSuisse qui craint que Bruxelles refuse la négociation et rejette l’accord sur la libre circulation et, du coup, tout le paquet des accords bilatéraux.
C’est un risque à prendre. Mais je crois que cette menace restera une menace. Bruxelles a tout intérêt à négocier avec nous, puisque c’est l’UE qui profite le plus de l’accord sur la libre circulation des personnes. Et puis, soyons honnêtes: la Suisse s’en sortirait très bien sans les accords bilatéraux. Nous avons des liens très forts directement avec les pays européens. Il y a vingt ans, lors de la votation sur l’Espace économique européen, l’économie disait aussi que notre pays allait sombrer s’il n’entrait pas dans l’EEE. Or, aujourd’hui, elle reconnaît que notre pays s’en sort mieux ainsi. C’est vrai que les entreprises auront plus de peine à engager du personnel si notre initiative passe, mais l’économie globale du pays s’en sortirait mieux.
Est-ce que le peuple a toujours raison?
Non, la voix du peuple n’est pas la voix de dieux, comme il ne l’est non plus la voix du Gouvernement. Mais c’est important dans une démocratie d’accepter les results d’une votation.
Vous dites être le parti du peuple. Pourtant vous ne respectez pas ses décisions. N’a-t-il pas toujours accepté les votations sur la libre circulation?
Nous respectons toujours les décisions du peuple et nous ne tentons pas de revenir en arrière avec cette initiative. Nous souhaitons simplement adapter un système après en avoir fait l’expérience. Mais c’est le peuple, qui décidera de nouveau.
Vous serez sans doute élu en octobre, sinon aux Etats, au moins au National. Combien de temps comptez-vous rester?
Je m’en irai seulement quand j’aurai le sentiment que mes idées ont été écoutées… et adoptées.
Encadré :
« Le drame d’Oslo me choque. »
Que répondez-vous à ceux qui fustigent l’UDC, estimant qu’elle favorise un climat de haine lors de ses campagnes sur l’immigration et risque de pousser des individus à commettre le pire, comme à Oslo?
Ce drame me choque et je suis dégoûté de voir qu’il existe des gens comme ça. Mais ce type est un fou qui se dit à la fois religieux, opposé à l’islam et cite Emmanuel Kant. De toute évidence, il se sentait isolé et non écouté. Malgré cette situation particulière, certains font des amalgames douteux en disant: «il est d’extrême droite, il est donc comme l’UDC.» Pour moi, c’est de l’ instrumentalisation politique. Au lieu de remettre en cause l’UDC, ces partis devraient plutôt s’interroger sur le climat de secret qu’ils créent en évitant sciemment certains thèmes. Ce sont les tabous qui favorisent le terrorisme et l’extrémisme.
L’UDC n’a donc nullement l’intention de changer…
Non. L’UDC n’est pas le déclencheur de ces actes, mais permet au contraire de les éviter. Grâce à nous, la société peut débattre de tout. C’est l’avantage de notre démocratie directe qui oblige le monde politique à évoquer les thèmes les plus délicats. Cela évite les drames, comme celui d’Oslo.
Mais n’avez-vous pas tout de même le sentiment d’être aller trop loin, notamment lors de la campagne sur les minarets, qui a d’ailleurs été reprise par des partis d’extrême droite en Europe?
Non, je n’ai pas ce sentiment. Cette initiative a obligé l’establishment politique à parler de l’islam, de l’islamisme et de la signification des minarets. Dans les autres pays, ces thèmes n’ont pas été abordés et ceux qui ont tenté de le faire ont été taxés de racistes. Or, il n’y a qu’en décrivant ouvertement et clairement toutes les situations qu’on combat l’extrémisme. D’ailleurs, en Suisse, si nous avons si peu d’extrémisme de droite en Suisse, c’est grâce à l’UDC.