Blocher propose un moratoire sur l’adhésion à l’Europe

Interview parue dans la Tribune de Genève du 28 août 1999 ainsi que dans 24 Heures

Le chef de file de l’UDC veut enterrer la haché de guerre jusqu’en 2005. Il se dit prêt à réexaminer la quesiton d’un oeil neuf après cette date. Pour l’acceptation des bilatérales, il pose ses conditions.

L’UDC a le vent en poupe. Son chef de file, Christoph Blocher, se garde pourtant de tout triomphalisme. Plus fort, il tend la main à ses adversaires pour enterrer la haché de guerre sur la question de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne.Il propose un moratoire de cinq ans anfin de décrisper le débat et permettre à chaque camp de faire un pas vers l’autre.

Interview: C. Imsand et A. Grosjean

 

Les Chambres fédérales vont entamer lundi leurs délibérations sur les accords bilatéraux conclus avec Bruxelles. Vous étiez contre l’EEE et maintenant vous faites la fine bouche devant les bilatérales alors que l’UDC a réclamé l’ouverture des négociations. Pourquoi?

 

Blocher: Nous n’avons jamais dit qu’il fallait accepter tous les résultats des négociations. La Suisse a fait trop de concessions dans le domaine de la libre circulation des personnes et des transports terrestres. Le lancement d’un éventuel référendum dépend de ce qui se passera après la mise en vigueur des accords. Voilà pourquoi nous posons nos conditions.

 

Quelles sont-elles?

 

Blocher: Premièrement, la période transitoire relative à la libre circulation des personnes dure sept ans. L’UE a admis la possibilité de revoir la question à ce moment-là. Nous voulons avoir l’assurance que la décision qui sera prise soit soumise au référendum. Deuxièmement, si l’UE est élargie aux pays d’Europe orientale, nous voulons que le peuple se prononce sur l’extension de la libre circulation des personnes aux ressortissants de ces pays. Enfin, il ne faut pas non plus que le Conseil fédéral se lance dans une campagne d’adhésion au lendemain de l’entrée en vigueur des accords bilatéraux.

 

Le gouvernement doit-il renoncer à son objectif stratégique qui est l’entrée de la Suisse dans l’UE?

 

Blocher: Principalement oui, mais je suis réaliste. Le Conseil fédéral ne peut pas dire qu’il n’y aura rien après les bilatérales. Il perdrait la face. Mais j’avais proposé après l’EEE un moratoire de 5 ans. Le Conseil fédéral aurait ensuite pu réexaminer la situation. A l’époque M. Cotti m’a dit : dans cinq ans nous serons dans l’Union européenne. Voyez le résultat. En 1997, soit 5 ans après, je lui ai proposé de nouveau un moratoire jusqu’en 2000. Il n’en a pas voulu. Sans une mesure de ce type, nous allons continuer de part et d’autre à perdre notre énergie dans une bataille stérile. Le moratoire sur les centrales nucléaires a permis de calmer le jeu sans que personne ne perde la face. Pour l’Europe, un moratoire jusqu’en 2005 serait raisonnable. Personne à Berne ne croit que la Suisse sera membre de l’UE avant cette date. Officieusement, le Conseil fédéral évoque plutôt 2010. Dans ces conditions, on peut se permettre d’attendre 2005 pour reprendre la discussion. Comprenez-moi bien. Cela ne veut pas dire que je serai opposé à une adhésion à l’UE en 2005, mais simplement qu’à ce moment-là les deux camps seront libres de décider et les deux camps auraient alors la force de faire avancer la Suisse.

 

L’UDC, c’est Christoph Blocher?

 

Blocher: Il y a 20 ans que je siège au Conseil national. Les premières années, j’étais dans la minorité de l’UDC. J’ai lutté pour un changement de ligne basé sur la responsabilité individuelle et la souveraineté de la Suisse, contre l’abus de l’asile, pour une amélioration de la charge fiscale. Maintenant, cette ligne est devenue majoritaire et nous disposons d’un large réservoir de personnalités qui peuvent la relayer, surtout à Zurich. Bientôt, je ne serai plus nécessaire à l’UDC.

 

Allez-vous donc vous retirer de la politique active?

 

Blocher: J’attends ce moment depuis longtemps. Mais c’est encore un peu tôt.

 

 

AVEC LES LIBERAUX

 

Certains sondages voient l’UDC devancer les radicaux lors des élections fédérales du 24 octobre. Vous y croyez?

 

Blocher: Non. C’est trop optimiste. Il est possible que nous gagnions quelques pourcentages mais pas à ce point. Ces sondages ont pour but de démotiver l’UDC. En revanche, il est possible que nous devancions le PDC si celui-ci perd un peu de terrain.

 

Le cas échéant, allez-vous revendiquer un second siège au gouvernement?

 

Blocher: La formule magique repose sur l’attribution de deux sièges aux grands partis et un seul au plus petit. Si nous devançons le PDC ou un autre parti, nous devons être prêts à demander un deuxième siège.

 

Serez-vous candidat?

 

Blocher: Je suis certain que le Parlement ne voudrait pas de moi. Je n’ai d’ailleurs aucune envie d’aller au gouvernement. Je suis un entrepreneur et j’ai plus d’influence en ne siégeant pas au Conseil fédéral. Mais si le Parlement m’élisait, je devrais accepter.

 

L’UDC n’est pas un vrai parti national étant donné sa faible implantation en Suisse romande. Est-ce que cela ne réduit pas la légitimité d’un second siège au gouvernement?

 

Blocher: Il ne faudrait pas élire un Romand pour le deuxième siège UDC. On pourrait en revanche avoir deux socialistes romands au Conseil fédéral si les Romands aiment autant les socialistes que le disent les sondages. Il y a aussi des cantons où les autres partis ne sont pas très forts. Par exemple, les socialistes ne jouent pas un grand rôle dans la Suisse centrale. Les démocrates-chrétiens sont aussi marginaux à Zurich qui est quand même le canton le plus peuplé de Suisse.

 

Pourquoi l’UDC peine-t-elle à s’implanter en Suisse romande?

 

Blocher: Les sections cantonales de l’UDC rejettent notre ligne. Cela les empêche de progresser. Les électeurs ne comprennent pas pourquoi ils devraient voter UDC si sa politique est similaire à celle des autres partis. Par ailleurs, il existe en Suisse romande un parti qui a des positions proches de l’UDC, si l’on excepte la question européenne. C’est le parti libéral. Je crois que le prochain siècle verra une collaboration UDC-libéraux en Suisse romande.

 

 

PASCAL COUCHEPIN : UN OPPORTUNISTE?

 

Selon Pascal Couchepin, l’UDC, c’est Radio Nostalgie avec Christoph Blocher comme animateur.

 

Blocher: M. Couchepin a très peur de l’UDC car son parti a perdu les élections à Zurich et dans le canton de Lucerne. Il croit qu’un conseiller fédéral peut se comporter comme Louis XIV : ” l’Etat c’est moi, et tout le monde doit s’aligner sur ce que je dis “. Les choses ne fonctionnent pas de cette façon en Suisse.

 

Il s’est profilé comme le chef de file de la ligne anti-UDC. Est-ce un adversaire à votre mesure?

 

Blocher: Un conseiller fédéral ne peut pas dire tout ce qu’il pense. Sa fonction ne le lui permet pas. Mais j’ai connu Couchepin quand il était parlementaire et j’ai pu constater que c’était un opportuniste. Il jouait les porteurs d’eau successivement pour les uns et pour les autres car son objectif était de devenir conseiller fédéral.

 

Y a-t-il au Conseil fédéral des gens pour lesquels vous avez une estime particulière?

 

Blocher: J’éprouvais beaucoup de sympathie pour Jean-Pascal Delamuraz même si nous n’étions pas toujours d’accord. Actuellement, il n’y a pas de véritables personnalités au gouvernement car le parlement cherche toujours à élire des personnes qui plaisent au plus de monde possible.

 

On a peu entendu l’UDC à propos de l’affaire Bellasi. Est-ce parce qu’Adolf Ogi est responsable du dossier?

 

Blocher: Pas du tout. C’est bien clair que je critique aussi Adolf Ogi si je n’ai pas la même opinion que lui. Le cas Bellasi est une sale histoire qu’il faut éclaircir mais ses allégations concernant l’armée secrète sont peu crédibles. Il n’en reste pas moins qu’il faut déterminer les responsabilités au-delà de Bellasi.

 

Adolf Ogi peut-il être mis en cause pour l’insuffisance des contrôles?

 

Blocher: Il y a partout des escrocs. La question est de savoir pourquoi les contrôles n’ont pas fonctionné. On ne peut pas dire actuellement si Ogi détient une part de responsabilité dans ce problème. Mais à Berne, jamais personne n’est responsable. Tout le monde se renvoie la balle. Qui est responsable des trous de la caisse fédérale de pensions : Villiger, Stich, le Parlement, les commissions?

 

Ces dernières semaines, le Conseil fédéral a pris plusieurs mesures dissuasives concernant les réfugiés, notamment la levée de l’admission collective des Kosovars et l’interdiction de travail d’une année. Est-ce qu’il ne vous coupe pas l’herbe sous les pieds pour votre campagne électorale?

 

Blocher: Malheureusement pas. Laisser les requérants d’asile se tourner les bras n’est pas une bonne solution. Il vaut mieux autoriser une activité lucrative à condition qu’une part du salaire serve à rembourser les frais d’assistance et que le solde soit placé sur un compte bloqué jusqu’au retour du requérant dans son pays. Si les personnes qui travaillent sont autorisées à envoyer régulièrement de l’argent à leur famille, cela rend la Suisse trop attractive.

 

Peut-on encore sauver Expo.01?

 

Blocher: Si on n’y parvient pas, ce n’est pas grave. Les problèmes actuels ne sont pas seulement dus à Jacqueline Fendt. On a fait une exposition pour le seul motif qu’il n’y en avait plus eu depuis 1964. Personne n’avait de concept, pas même le Conseil fédéral. Maintenant je constate que les responsables de l’Expo veulent montrer une Suisse qui n’existe pas. On a refusé le droit à l’économie et aux paysans de se montrer tels qu’ils sont. Je crois que la Suisse n’est pas assez au clair sur son avenir pour se permettre de monter un tel projet. Mais l’Expo.01 n’est pas pour moi un thème prioritaire.

 

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