La fin des illusions romantiques

Interview dans Le Matin du Dimanche, 23 septembre 2001

Le leader de l’UDC défend plus que jamais la neutralité. Il a répété cette semaine son refus d’adhérer même à l’ONU. Il estime que les attentats lui donnent raison dans son approche égoïstement assumée de la défense de la Suisse. Interview d’un réaliste brutal.

Propos recueillis par Michel Zendali et Ludovic Rocchi

Sommes-nous tous des Américains?

 

Blocher: Non, je suis Suisse, et les Américains sont des Américains. Nous partageons depuis longtemps avec eux nos valeurs démocratiques de liberté. Mais je n’aime pas leur manière de croire que seul les superlatifs comptent. Je me suis toujours méfié de la centralisation du pouvoir, à l’image de ces tours du World Trade Center – quel nom! -, dans lesquelles je n’ai jamais voulu mettre les pieds en allant à New-York. Tout comme je n’ai jamais voulu aller au Forum de Davos.

 

Seriez-vous devenu antiaméricain et contestataire de la mondialisation?

 

Blocher: Non, mais je partage le désarroi de ceux qui se méfient de la mondialisation. Toute ma politique a toujours été dirigée contre la tendance à laisser une poignée de dirigeants gouverner nos destinées. Il faut fractionner le pouvoir, pour que le contrôle par le peuple reste possible. C’est le modèle suisse, même si je n’aime pas tout non plus en Suisse.

 

Avez-vous peur de l’onde de choc du 11 septembre?

 

Blocher: J’avais d’avantage peur auparavant de la naïveté, du romantisme de ceux qui croyaient que depuis la chute du mur de Berlin le monde allait baigner dans une joyeuse fraternité et l’absence de conflits. Ce brutal retour à la réalité fait que j’ai par exemple moins peur de prendre l’avion qu’avant, car des mesures seront prises et il n’y aura certainement plus de possibilités d’actes terroristes à ce niveau. Quand notre président Moritz Leuenberger a parlé d’une catastrophe ” apocalyptique “, je me suis dit qu’il avait perdu la tête. Ce n’est pas la fin du monde. Et si on se met à dire que ces événements sont incompréhensibles, comment voulez-vous en prévenir d’autres?

 

Il faut donc perdre nos illusions d’un monde meilleur?

 

Blocher: Les hommes n’ont pas changé. Nous ne sommes pas fondamentalement bons. Le monde a toujours été dur et il le reste. Il faut se battre du matin au soir, travailler dur, comme je le fais et comme mes parents l’ont fait avant moi. C’est la vie et la loi de l’économie de marché dans laquelle nous évoluons et qui apporte tout de même des avantages à toujours plus de gens. C’est la Bible qui le dit: “Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front”. Ce n’est pas une vision pessimiste de l’humanité.

 

Le 11 septembre oblige chacun à revoir son approche de la sécurité. Pas vous?

 

Blocher: Ces attentats finissent de prouver que le concept de guerres entre Etats n’est pas le seul scénario. On le sait depuis longtemps, mais on n’y croyait pas: Le vrai danger concerne les risques de déstabilisation intérieure, les nouvelles formes de guerres civiles, ce qui vient d’arriver aux Etats-Unis. Je n’avais cependant pas imaginé que les méthodes meurtrières des terroristes puissent devenir aussi sophistiquées. A l’époque, quand j’évoquais le danger en Suisse représenté par la présence de l’UCK, la guérilla albanaise, on se moquait de moi en disant que Blocher était une fois de plus contre les étrangers.

 

Vous revendiquez un autre concept de défense. Comment expliquez-vous que votre parti ne vous a même pas suivi cette semaine dans la contestation du programme d’armement devant le Parlement?

 

Blocher: Je n’ai pas cherché à entraîner mon parti. Il fallait donner un signal et j’étais le seul à pouvoir le faire. Pour mes collègues, il est délicat face à leurs électeurs d’être associé à la gauche, qui contestait elle aussi ce programme mais avec le but de supprimer l’armée. J’ai donc pris sur moi de montrer au Conseil fédéral et à l’armée que nous ne sommes plus d’accord de leur donner tout ce qu’il demande. Seul ce type de pression peut les obliger à enfin corriger le tir dans notre direction.

 

Pensez-vous sérieusement pouvoir combattre ces nouveaux dangers avec votre concept d’armée de milice, sans coopération internationale?

 

Blocher: Toute coopération n’est pas exclue. Mais il n’est pas question de s’engager dans une alliance militaire qui, de fait, peut nous entraîner à conduire une guerre. Nous n’avons pas besoin pour être prêt chez nous. Tout comme il faut cessez d’acheter des chars ou s’équiper pour pouvoir collaborer en dehors du territoire suisse avec l’OTAN. Ce qu’il faut, c’est préparer la milice à répondre rapidement à ces nouveaux dangers intérieurs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Formons nos soldats près de chez eux, mobilisables rapidement sur le territoire, qu’ils connaissent, un peu comme il y a des pompiers dans chaque village.

 

Vous reconnaissez vous-même que la priorité doit revenir aux moyens civils (police, renseignements, etc). Mais la neutralité que vous défendez devient un obstacle…

 

Blocher: Même si elle crée des difficultés, la neutralité nous préserve d’être impliqués dans des conflits à l’étranger. Un petit pays comme le nôtre ne doit en rien se mêler des affaires des grandes puissances qui, à l’image des USA, agissent d’abord dans leurs intérêts. Cette réserve n’empêche en rien de collaborer au niveau civil, ce que nous faisons.

 

Il faudrait au moins adhérer à Schengen, l’espace de sécurité de l’Union européenne?

 

Blocher: Non, car plus l’espace à surveiller est grand, moins le contrôle est efficace. Contre le terrorisme et la criminalité, l’abolition des frontières est une erreur. Encore une fois, notre meilleure contribution à la sécurité du monde est de se donner les moyens de lutter chez nous.

 

Que faites-vous de la nouvelle coalition internationale contre le terrorisme qui se dessine ? La limite avec la neutralité militaire est-elle encore tenable?

 

Blocher: Cette coalition est plus déclamatoire que réelle. Reste que l’interaction entre moyens civils et militaires est effectivement nécessaire et délicate. Mais même lorsqu’ il s’agit de coopération policière ou d’échanges d’informations, il faut que chacun reste responsable des opérations sur son territoire. Sinon plus personne n’est responsable. Il n’est pas possible de soutenir les Américains dans une probable guerre contre l’Afghanistan. Ou alors il aurait aussi fallu les aider à y combattre les Soviétiques. Cessons d’idéaliser notre rôle de petit pays!

 

Note secret bancaire, lui, a une influence mondiale. Ne faut-il pas l’abolir pour faciliter la traque financière contre le terrorisme?

 

Blocher: Les moyens de contrôle sont déjà sévères. Avant d’agir, les terroristes apparaissent comme des citoyens tout à fait fréquentables. Il est malheureusement difficile de les piéger. En cas de soupçons, nous sommes suffisamment armés pour bloquer des comptes et poursuivre les gens. Dans ce domaine comme dans les autres, le risque zéro ne peut exister que dans une dictature. J’estime que la liberté doit continuer de primer sur la sécurité.

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