Testi
Indipendenza
01.01.2002
03.12.2001
Gold für Solidarität?
Mein Beitrag für die "Zeitlupe" vom Dezember 2001 Die Schweizerische Nationalbank ist der Meinung, dass ca. 1'300 Tonnen Gold, d. h. ein Wert von ca. 20 Milliarden Schweizer Franken als Reserve für die Währungs-Politik nicht mehr benötigt werden. Der damalige Bundespräsident Arnold Koller hat im März 1997, als die Schweiz von amerikanischen Kreisen unter grossen Druck gesetzt wurde, im Nationalrat verkündet, dass aus einem Teil der Reserven eine Solidaritätsstiftung - heute Stiftung "Solidarische Schweiz" - gegründet werde. Dies aus Dankbarkeit, dass die Schweiz vom Krieg verschont worden sei. Er erwähnte, dass dann mit dieser Stiftung viel Gemeinnütziges und Soziales im In- und Ausland geleistet werden könnte, selbstredend natürlich auch für die Holocaustopfer. Die Ankündigung dieser Stiftung war das Resultat einer unbeschreiblichen Erpressungskampagne. Dies führte dann zu Milliardenzahlungen der Schweizer Wirtschaft, hauptsächlich mit dem Zweck einem Bankenboykott in den USA zu entgehen. Im Schweizer Volk war ein grosser Widerstand gegen solche Erpressungsmanöver zu spüren. Dieser Widerstand der Bevölkerung war wohl der Grund, dass Bundesrat und Parlament keine Gelder sprachen. Die Stiftung "Solidarische Schweiz" war dann ein Ausweg. Die Schweizerische Volkspartei (SVP) hat kurz darauf eine Volksinitiative gestartet (sogenannte Gold-initiative), welche verlangt, dass die nicht benötigten Währungs-Reserven, also eben diese 1'300 Tonnen Gold oder diese rund 20 Milliarden Schweizer Franken dem Schweizer Volk zugeführt werden. Dies geschieht am besten, indem man dieses überschüssige Geld in den AHV-Ausgleichsfonds bezahlt. Würde man die 20 Milliarden in die AHV einbezahlen, so würden die AHV-Renten sicherer und es müssten weniger Mehrwertsteuern erhoben werden. Das dient allen. Damit ist für eine solche Stiftung "Solidarische Schweiz" natürlich kein Platz mehr. Es hat lange gebraucht, bis man jetzt diese Vorlage ins Parlament gebracht hat. Sie wurde gedreht und gewendet, um endlich einen Zweck zu finden, der vor einer allfälligen Volksabstimmung Bestand haben könnte. Vieles soll daraus bezahlt werden können, und viele Kreise hoffen natürlich, von diesem Manna Geld zu bekommen. Denn 7 Milliarden Franken bringen im Jahr etwa 350 Millionen Schweizer Franken Erträge, die verteilt werden können, und hier wird es an Empfängern nicht fehlen. In einer Zeit, in der es für uns schwer wird, die AHV finanzieren zu können, ist es eine Dummheit, eine Stiftung "Solidarische Schweiz" zu bilden, statt das Geld der gefährdeten AHV zu geben. Ist es nicht mindestens so solidarisch, wenn man das Geld denen zurückgibt, denen es gehört?
15.11.2001
Mal en point, l’économie saura-t-elle tirer les leçons de la crise Swissair?
Mon article pour Le Temps du 15 novembre 2001 Pour Christoph Blocher, leader de l'UDC zurichoise, la débâcle de la compagnie d'aviation nationale est la conséquence directe des connivences entre les grandes entreprises, la Confédération, le Parti radical, economiesuisse et les médias. A l'avenir, pour éviter la répétition des mêmes erreurs, les valeurs entre preneuriales traditionnelles doivent retrouver la première place. Christoph Blocher La débâcle de Swissair coûte cher: des sommes d'argent gigantesques sont englouties et de nombreux emplois perdus. Raison suffisante, pourrait-on penser, pour qu'on veuille en tirer les bonnes leçons. Cela d'autant plus que la chute de Swissair n'est que le dernier exemple en date d'une longue série d'événements similaires qui ont touché les fleurons de l'industrie suisse. Que l'on songe à l'industrie horlogère d'autrefois, à l'ancienne entreprise Saurer, à ce qu'étaient le groupe BBC et l'entreprise Sulzer, à Von Roll, et à différentes banques cantonales, pour ne citer que quelques exemples. A leur origine, toutes ces difficultés ont un dénominateur commun: les liaisons dangereuses entre économie et politique, entre les entreprises et les banques qui leur accordent des crédits, la connivence avec les associations économiques faîtières, le copinage entre l'Etat, les syndicats, les partis politiques et les médias. Swissair était l'incarnation par excellence de ces sinistres recoupements d'intérêts. Derrière une façade flamboyante, derrière les beaux noms de dignitaires connus, la compagnie nationale est trop longtemps parvenue à cacher une mauvaise gestion, une montagne de dettes gigantesque et des stratégies erronées. Cette dérive a pris des proportions qui lui ont finalement été fatales. On prend les mêmes et on recommence Le 22 octobre 2001, des représentants du Conseil fédéral, de l'administration, de l'économie et des banques annoncent aux médias la constitution d'une soi-disant "nouvelle" Swissair. D'un simple coup d'œil, il apparaît d'emblée que les personnes soigneusement alignées les unes à côté des autres sont les mêmes que celles qui ont fait échouer Swissair. Revoilà les banques, et en premier lieu le Credit Suisse (CS), banque attitrée de l'ancienne Swissair, avec Rainer E. Gut, son président d'honneur, qui a siégé pendant vingt et un ans au Conseil d'administration de Swissair et qui porte une lourde part de responsabilité dans les erreurs stratégiques et personnelles qui ont été commises à l'époque. Revoilà aussi Marcel Ospel, président du conseil d'administration de UBS, une banque dans le conseil d'administration de laquelle siégeait Eric Honegger, l'ancien président de Swissair. Et revoilà les politiciens, joliment encadrés par les deux grandes banques: le président de la Confédération Moritz Leuenberger qui, prisonnier des copinages, a négligé de remplir son devoir légal de surveillance et qui, de ce fait, porte une part de responsabilité dans la déconfiture de l'ancienne Swissair. A son tour, le socialiste est joliment encadré par les conseillers fédéraux radicaux Pascal Couchepin et Kaspar Villiger. Comme par le passé, le Parti radical est représenté au plus haut niveau. Bien entendu, le gouvernement zurichois a aussi une nouvelle fois pris place autour de la table: le conseiller d'Etat Rudolf Jeker, membre du comité de l'ancienne Swissair, remplace maintenant son collègue de parti Eric Honegger. L'administration fédérale aussi - laquelle siégeait au conseil d'administration jusqu'en 1995, puis au comité de l'ancienne Swissair, est à nouveau de la partie. Cette fois, elle est représentée par le directeur en personne de l'Administration fédérale des finances, Peter Siegenthaler (PS), qui incarne l'accès le plus direct aux fonds de la Confédération. Les copains d'abord Les journalistes sont à plat ventre devant cette alignée de petits copains et écoutent religieusement leurs discours, visiblement soulagés. Le lendemain, ils vont célébrer dans leurs journaux ce groupe de vieux camarades en évoquant "un nouveau partenariat" et "un rapprochement exemplaire entre l'économie et l'Etat". Bien entendu, sur le podium, on justifie cette intervention collective par le patriotisme et le bien général pour mieux en camoufler l'enjeu véritable: dissimuler les erreurs que les intéressés ont eux-mêmes commises par le passé et sauver leur propre "image". Il faut prendre des décisions urgentes, et cela tombe bien. De cette manière, il ne reste que peu de temps pour réfléchir et encore moins pour des décisions vraiment démocratiques. La devise salvatrice a maintenant pour nom droit d'urgence. L'argent des contribuables est versé en masse, mais en douce, sans que le parlement se prononce. L'accord est donné par la petite Délégation des finances qui, par le plus heureux des hasards, est présidée par le conseiller national radical Erich Müller, lequel est membre du comité du CS. Ode aux manigances La majorité des journalistes, qui avaient déjà chanté la gloire de l'ancienne Swissair, fait maintenant l'éloge de la nouvelle. Le 6 juin 2000 déjà - à une époque où la mauvaise gestion de Swissair était déjà manifeste -, le rédacteur en chef de la NZZ avait fait, dans une halle de l'aéroport de Zurich, l'éloge de son "cher Hannes", à savoir le président sortant de Swissair Hannes Goetz. Il avait notamment évoqué le don de son collègue du Parti radical et membre du conseil d'administration de la NZZ "de réfléchir de manière stratégique et d'accorder sa confiance aux collaborateurs qui le méritaient à tous les échelons" - il entendait sans doute aussi par là Philippe Bruggisser! Et le rédacteur en chef de la NZZ de célébrer en son Hannes "un Plutarque suisse du premier siècle du troisième millénaire", dont "l'entrée dans la galerie des grands entrepreneurs et des Suisses qui comptent devrait être sérieusement envisagée". Qui s'étonnera, dans ces conditions, que le rédacteur en chef du Tages-Anzeiger n'ait pas voulu être en reste lorsqu'il a commenté la naissance de la nouvelle Swissair? Le 23 octobre 2001, il se montre ravi du nouvel éclat pris par l'ancien groupe de petits copains, lequel offre une "image à la grande signification symbolique", une "image qui suscite des espoirs". La presse Ringier aussi, bien entendu, se montre euphorique. N'avait-elle pas, au moyen de campagnes nationalistes de mauvais goût, empêché que les changements nécessaires soient apportés à l'ancienne Swissair? La trahison des milieux économiques par une association économique "Vorort", tel était le nom de l'association faîtière de l'économie suisse jadis crainte par la Berne fédérale, où elle jouissait du plus grand respect. Cédant à la mode des changements de noms, elle s'appelle maintenant economiesuisse. Selon ses statuts, cette dernière est tenue de défendre "les principes d'un régime libéral et d'économie de marché" ainsi que "la compétitivité de l'économie suisse et de ses entreprises". Le 16 octobre 2001, economiesuisse annonce que "les milieux économiques" acceptent formellement la participation de l'Etat dans Swissair et qu'ils sont prêts à renoncer à la réduction de l'impôt sur les entreprises. Je ne peux m'empêcher d'avoir à l'esprit la saisissante représentation donnée par Leonard de Vinci de "la Cène": à la place des douze apôtres, je vois autour de la table les treize membres de la direction d'economiesuisse. Mais, contrairement à la peinture de Leonard de Vinci, il n'y a pas qu'une seule personne à tenir entre ses mains une petite bourse remplie de pièces d'argent: c'est le cas pour plus de la moitié des convives. Pourquoi cette trahison? La réponse est vite donnée, car une fois de plus on retrouve l'infatigable bande des petits copains: le président d'economiesuisse est Andres F. Leuenberger, conseiller d'administration de Swissair; Marcel Ospel, président de UBS, la deuxième banque attitrée de l'ancienne Swissair et l'actionnaire principal de Crossair, est à nouveau assis autour de la table; Mario Corti, on le sait, était le président du conseil d'administration de l'ancienne Swissair, celui qui a spontanément remboursé aux banques un milliard de crédits dans les mois qui ont précédé l'insolvabilité de Swissair; Riccardo Gullotti est membre du comité de Swissair. Ici aussi, le Parti radical est bien représenté, notamment par Ueli Forster, le président désigné d'economiesuisse - il est l'époux de la conseillère aux Etats radicale Erika Forster -, et par le conseiller national Schneider-Ammann. En acceptant des impôts élevés, l'association faîtière de l'économie suisse s'est couverte de ridicule, ce qui remet sérieusement en cause sa raison d'exister. Un socialiste influent m'a déjà dit en se frottant les mains: "Qu'ils ne viennent plus jamais demander une baisse d'impôts!" En 2002, avec la bénédiction d'economiesuisse, une famille moyenne de quatre personnes paiera en ville de Zurich via la Confédération, le canton, la commune et la banque cantonale pas moins de 5900 francs pour le fiasco de Swissair. Mais cela n'a rien de nouveau: ces dernières années, economiesuisse a activement soutenu pratiquement toutes les décisions visant à étendre les activités de l'Etat ou à piller le porte-monnaie des entreprises et des citoyens. Les comités? Du copinage institutionnalisé! Tant Swissair que le CS ont créé, à côté de leur conseil d'administration, un comité. Un gros actionnaire du CS a qualifié ces comités de "lieux de corruption". Et au CS, en effet, sans prendre le moindre risque, sans aucune responsabilité et sans apporter de connaissances spécifiques, une personne qui siège au comité touche 120'000 francs par an. Au comité du CS siègent par exemple les deux conseillers nationaux radicaux Erich Müller, de l'ancienne équipe des petits copains de Sulzer, et Felix Gutzwiller, spécialiste en médecine préventive. Ce dernier est très engagé en faveur de la Fondation de solidarité, censée réparer avec la fortune nationale les erreurs des grandes banques. Brigitta Gadient (UDC), peu connue pour ses compétences bancaires, est aussi membre du comité du CS. De sorte que, en fin de compte, tous les espoirs reposent sur le conseiller national Melchior Ehrler (PDC), que le CS présente sous le titre accrocheur de "Director Swiss Farmer's Association, Brugg". Le comité du CS est présidé par l'ancien président de l'aéroport de Zurich, Ueli Bremi (PRD). Le vice-président est Urs Lauffer, chef du groupe radical au Conseil communal zurichois, qui aime à se qualifier de "politicien social". Son principal métier consiste à redorer le blason de patrons déchus dont il s'applique à maquiller les erreurs de management. D'entente avec le PS, ce radical bloque un allégement substantiel des impôts en ville de Zurich. Dans le canton de Zurich aussi, sous la pression de leur groupe et d'entente avec le PS, les radicaux ont cautionné le versement de l'argent des contribuables - 300 millions - pour Swissair, permettant ainsi de décharger les responsables radicaux impliqués dans la débâcle. Que faire? Il faut éviter que l'économie nationale subisse d'autres dommages. Les dégâts se chiffrent déjà en milliards de francs et conduisent à la perte de dizaines de milliers d'emplois C'est pourquoi il faut mettre au jour ces intérêts croisés et les trancher. Un entrepreneur sait parfaitement que la responsabilité n'est pas quelque chose qui se partage. Il faut redonner tout son sens au principe selon lequel la prise de risques revient à l'entreprise. On ne peut tolérer que des entreprises privées délèguent à l'Etat, c'est-à-dire à des contribuables qui n'ont aucun moyen de se défendre, un risque collectif que les vrais responsables n'ont dès lors plus à assumer eux-mêmes. Il faut renoncer à faire siéger dans les conseils d'administration, en les payant grassement, des gens dont le seul mérite est d'avoir un nom connu et de siéger dans de nombreux autres conseils d'administration. La prospérité d'une entreprise doit dépendre de la qualité de ses produits et du sérieux de ses performances et non des relations croisées dont elle profite ou du soutien de l'Etat. En lieu et place de stratégies globales grandiloquentes et de "visions", il faut replacer au centre des préoccupations la compétence entrepreneuriale. D'une manière générale, il faut absolument éviter qu'une banque qui accorde un crédit à une entreprise soit représentée dans le conseil d'administration de cette entreprise. Les comités à composante politique corrompent aussi bien les entreprises que les milieux politiques. Il faut les supprimer. Les éditeurs seraient bien inspirés de faire en sorte que leurs journalistes s'attachent à décrire la réalité et fassent preuve de sens critique dans leurs questions et commentaires. Les campagnes de presse idéologiques, à caractère missionnaire ou moralisateur rendent aveugles face aux vrais dysfonctionnements. Economiesuisse doit à nouveau prendre au sérieux sa tâche, qui est de veiller au respect des règles de l'économie de marché libérale. Son rôle est de dresser une barrière qui protège l'économie de marché et de combattre toutes les tentatives de l'Etat d'étendre ses activités. Si elle n'a plus la force de remplir cette mission, on peut sans regrets se passer d'une association économique devenue impuissante. L'état n'a pas à intervenir dans une économie libre. Ses ingérences provoquent une distorsion de la concurrence, contribuent à maintenir des structures dépassées, ce qui diminue la prospérité et détruit des emplois. Lorsque l'Etat remplit une tâche de surveillance, comme c'est le cas pour le trafic aérien, il ne doit collaborer sous aucune forme à la direction de l'entreprise soumise à surveillance, ni entrer dans son actionnariat. Il n'est pas possible de se surveiller soi-même, car personne n'est capable de servir deux maîtres à la fois!
05.11.2001
La débâcle de Swissair rappelle les pratiques de l’URSS
Interview dans Le Temps du 5 novembre 2001 Dans une interview commune au "Temps" et à l'"Aargauer Zeitung", le conseiller national UDC et entrepreneur Christoph Blocher s'exprime sur Swissair, la crise économique, l'Afrique du Sud et l'UDC en Suisse romande. Marc Comina et Othmar von Matt Christoph Blocher, en observant le triste spectacle qui se joue autour de Swissair/Crossair, vous devez vous frotter les mains? Christoph Blocher: Non, je suis en colère. Le copinage et les erreurs de management ont ruiné Swissair. Et le même cercle de petits copains construit maintenant sur le dos des contribuables une compagnie d'aviation surdimensionnée et à moitié étatique. La confusion règne: personne ne sait combien d'argent il faudra, et personne ne prend vraiment la responsabilité de l'ensemble. Blocher: La Confédération et les cantons possèdent ensemble 38% de la nouvelle compagnie. Les collectivités publiques sont ainsi de facto propriétaires. C'est un tonneau sans fond. Après les CFF, voilà une deuxième société déficitaire, mais plus gravement encore. La Confédération ne pourra pas se débarrasser de la nouvelle compagnie si rapidement; le contribuable va payer sans fin. Le seul crédit de transition jusqu'en mars 2002 coûte 2000 francs par habitant. De cette manière, on affaiblit la Suisse. Vous aviez donc raison de tirer la sonnette d'alarme? Blocher: Oui, mais ce n'est pas ce qui compte. Il faut préciser deux choses. Premièrement, l'insolvabilité d'une entreprise est toujours un événement dramatique, qui se fait au détriment de nombreuses personnes: il n'y a que des perdants. Dans une telle situation, il faut savoir garder la tête froide. On n'a pas su le faire, et les dégâts sont donc considérables. Et deuxièmement, il est très décevant de constater que Swissair n'avait pas, il y a plusieurs mois en arrière, préparé un sursis concordataire en bonne et due forme. Cela reste pour moi incompréhensible. Un entrepreneur ne peut tout de même pas, un dimanche soir, tout à coup, se rendre compte qu'il lui manque 4 milliards. Mario Corti pense que, sans le 11 septembre, Swissair pouvait être sauvée. Blocher: Non. Swissair avait accumulé une dette gigantesque de 15 milliards. C'est un fait. Un sauvetage aurait coûté 6 à 7 milliards à fonds perdus et 11 milliards pour la recapitalisation. Ces chiffres datent d'avant le 11 septembre. Naturellement, le terrorisme aurait aussi frappé une compagnie en bonne santé. Mais pas mortellement. Vous critiquez le copinage... Blocher: Si Swissair est devenue un symbole intouchable, c'est à cause d'un sinistre copinage entre politique, Confédération, cantons, associations économiques, multinationales et le Parti radical. Swissair était un temple, un dieu, une idole. Il est intéressant de noter que, depuis avril 2001, Swissair a de son plein gré remboursé aux banques 1 milliard. Le Credit Suisse (CS) a ainsi pu faire savoir qu'il n'avait plus que 150 millions d'engagements à risque. Rien d'étonnant à cela: Lukas Mühlemann est à la fois directeur et président du conseil d'administration du CS, et il était membre du conseil d'administration de Swissair. Blocher: Cela montre de quelle incroyable manière les intérêts se recoupent: les banques créditrices siégeaient aussi au conseil d'administration de Swissair. C'est toujours une erreur. Les banques ont d'autres intérêts que l'entreprise. Au total, les banques se retrouvent ainsi avec 1 milliard en moins d'engagements à risque. C'est bon pour les banques, mais pas pour Swissair. Peut-on parler de "délit d'initiés"? Blocher: Le CS a toujours affirmé que ce n'était pas Mühlemann qui accordait les crédits. C'est une illusion. Quel employé de banque peut étudier de manière indépendante la demande de crédit d'une entreprise si son boss siège précisément au conseil d'administration de cette entreprise? Mais le CS n'était pas seul au conseil d'administration de Swissair, UBS y était aussi. Le rôle décisif a-t-il été joué par le CS? Blocher: Pas uniquement le CS. Eric Honegger siégeait au conseil d'administration de UBS. Vreni Spoerri et Thomas Schmidheiny étaient aussi au conseil d'administration du CS. Andres F. Leuenberger était président d'economiesuisse. C'est un effroyable réseau de petits copains. Cela continue: Rainer E. Gut, le nouvel homme fort, est président d'honneur du CS. Blocher: Ce n'est pas tout. Rainer E. Gut a représenté les banques pendant vingt et un ans au conseil d'administration de Swissair. Dans les années décisives, il siégeait au comité. Lukas Mühlemann lui a succédé. Le prochain président viendra-t-il aussi du même cercle? Lukas Mühlemann a-t-il encore sa place au CS? Blocher: C'est aux actionnaires du CS d'en décider. Comme il n'a laissé que 150 millions dans l'affaire Swissair, il a bien travaillé pour le CS. Mais pas pour Swissair. Sa crédibilité en a beaucoup souffert. Blocher: C'est précisément le problème: Mühlemann devait prendre simultanément la défense de deux entreprises aux intérêts divergents. Ce n'est pas possible. Le CS semble être la plaque tournante de la débâcle de Swissair. Blocher: Tout porte à le croire. C'est clair. Swissair illustre de manière emblématique les désastres auxquels mène le copinage. Tout se faisait sous un même couvercle, personne n'osait critiquer, les journalistes pas plus que les autres. Quand la débâcle est arrivée, elle a provoqué une explosion: l'insolvabilité. Sur le plan politique, ce n'est pas différent. Il y a une ressemblance évidente avec l'Union soviétique. C'est vous qui affirmez cela: la Suisse ressemble à l'Union soviétique? Blocher: Non, pas la Suisse. Les dysfonctionnements chez Swissair ressemblent à ceux de l'Union soviétique: tous les milieux se tiennent, la critique n'est pas autorisée et en fin de compte tout s'écroule. L'effondrement total aurait pu mettre 50 000 personnes au chômage. Blocher: Quelle bêtise! Vous adoptez sans sourciller la version officielle. Bien sûr que la disparition d'une entreprise est quelque chose de terrible. Mais tout le monde ne devient pas chômeur. Jusqu'à tout récemment le marché du travail était asséché. En outre, plusieurs sociétés annexes n'étaient pas à cours de liquidités. Les activités aéroportuaires seront poursuivies par d'autres sociétés. Et Crossair a les moyens de s'en sortir. Pour vous non plus, les conséquences d'une débâcle totale n'étaient pas prévisibles. Blocher: Si. Mais, dans ce cas, il fallait éviter que le chaos ne dure. C'est pourquoi l'UDC ne s'est pas opposée au versement des 450 millions par la Confédération après le blocage des avions au sol, afin de permettre le rapatriement des passagers et de remettre de l'ordre dans la maison. Et qu'auriez-vous fait ensuite? Blocher: J'aurais pris garde que la Suisse conserve de nombreuses bonnes liaisons aériennes et que l'Etat ne verse plus d'argent. Cela n'aurait pas été facile. Blocher: Il y a des centaines d'avions que d'autres compagnies aériennes souhaiteraient voir atterrir en Suisse. Surtout aujourd'hui que la concurrence est si forte. Après le blocage des avions au sol, la population était très inquiète, craignant la fin du modèle suisse. Blocher: Il faut dire la vérité à la population, même quand elle est désagréable. C'est ce qu'a fait l'UDC. Depuis, quatre semaines se sont écoulées et l'opinion s'est retournée. Maintenant, les gens y voient clair. Swissair joue un rôle important pour l'image de la Suisse à l'étranger. Cette image est-elle en danger? Blocher: En sauvant Swissair, on ne sauve ni la substance ni l'image de la Suisse. La Suisse dispose d'une excellente réputation. Pour l'instant du moins. Pour l'instant seulement? A plus long terme, cette image vous paraît en danger? Blocher: Cela commence déjà sur le plan politique. Si la Suisse veut être active dans toutes les organisations internationales, nous allons au-devant d'un nivellement de la Suisse par le bas. La Suisse veut jouer dans la cour des grands. SAirGroup aussi était adepte de la folie des grandeurs. Elle voulait être un Global Player. Drôle de mot. Une entreprise n'est pas un joueur ("player"). Les joueurs ne sont pas des gens sérieux. Les entreprises suisses ont une réputation de sérieux. L'aéroport de Zurich devait devenir le quatrième aéroport d'Europe en importance. Ce n'est pas suisse. Grandeur et quantité à des prix plancher? Cela ne correspond pas à notre réputation de qualité. Personnellement, vous maîtrisez cependant parfaitement les règles du jeu de la globalisation. Blocher: Les règles du jeu du commerce international. Mais toujours en tant qu'exception (Sonderfall). Votre entreprise n'est pas une exception. Blocher: Si. Par rapport aux entreprises comparables dans le monde, Ems Chemie est un nain. Comment réussissons-nous à survivre? En faisant les choses autrement. Si je voulais copier BASF ou General Electric, ce serait ma perte. Mais je touche du bois. Un entrepreneur a toujours aussi peur du succès, parce qu'il peut malgré tout commettre des erreurs. A vous entendre, il faut se préparer à des temps difficiles. Blocher: Extraordinairement difficiles. Le fait que - pour résumer grossièrement - trois terroristes armés de trois canifs puissent mettre à genoux la puissante Amérique a profondément désorienté le monde. Que font les entreprises dans une telle situation? Elles freinent, écoulent leurs stocks, thésaurisent. L'économie va traverser une période où sa survie est en jeu. Ce qui n'a pas que des conséquences négatives. Par exemple? Blocher: Durant les années de haute conjoncture, il y a des gens qui jetaient des programmes informatiques sur le marché et devenaient instantanément millionnaires. Tout se vendait. Je me suis souvent demandé si, avec mes 3000 employés, nous faisions quelque chose de faux, puisque nous travaillions dur du matin au soir. La bulle a explosé. Est-ce que cela signifie le retour à un travail plus sérieux? Blocher: J'en suis convaincu. En périodes de récession, le sérieux reprend le dessus. L'être humain se tourne à nouveau vers ce qui est solide, ce qui a fait ses preuves. Il est bon qu'il en soit ainsi. Les gens veulent y voir clair. Je m'en suis aperçu récemment à Düsseldorf lors d'une des plus grandes foires internationales consacrées au plastique. De nombreux vendeurs n'étaient manifestement pas à leur place: les clients sentaient immédiatement que derrière le bruit et la fumée, il ne restait que du bluff. On pouvait littéralement palper le désir des gens pour de bons produits. Comment jugez-vous le management de la crise Swissair par le Conseil fédéral? Par exemple de la part du président Moritz Leuenberger? Blocher: Moritz Leuenberger se sent toujours profondément touché par ce qui arrive. Mais lorsque la sensibilité domine, on ne trouve pas de bonnes solutions. La sensibilité ne peut pas remplacer la prise de décisions. Et Kaspar Villiger? Blocher: Je ne veux pas porter de jugement sur chaque membre du gouvernement. En libérant ces montants, l'ensemble du Conseil fédéral a perdu la tête. En son for intérieur, Villiger sait que c'est une erreur. Il a tout de même fait preuve de courage. Blocher: Il n'a pas résisté à la pression. C'est pourtant aussi une tâche de l'Etat que de savoir dire non aux sollicitations. Mais Villiger a ouvert tout grand les écluses. De surcroît, il s'est mis lui-même à la recherche d'investisseurs. C'est une attitude très discutable. Il vous a aussi demandé de l'argent. Blocher: Oui. Mais je suis capable de dire non. Ces investisseurs viendront un jour présenter l'addition en espérant obtenir un traitement de faveur. Quelles sont les conséquences du 11 septembre pour la votation sur l'ONU? Blocher: Les gens ouvrent les yeux. L'ONU n'est pas un club inoffensif. Tous les membres de l'ONU, y compris l'Afghanistan et l'Arabie saoudite, condamnent le terrorisme. Pourtant c'est là qu'il existe et se développe. On voit à quel point il est dangereux de ne pas être neutre: on peut être entraîné dans un conflit. Bien entendu, la Suisse aussi s'oppose au terrorisme. Nous devons nous en protéger et faire en sorte qu'aucun terrorisme ne se développe depuis la Suisse. Mais nous voulons tout de même réfléchir par nous-mêmes. Si nous étions dans l'ONU, nous pourrions être obligés de prendre des sanctions contre l'Afghanistan. Face au terrorisme, on ne peut cependant pas rester neutre. Blocher: Face au terrorisme, on n'a pas à rester neutre. Le terrorisme est une forme de combat, ce n'est pas un parti ni un Etat. Le concept de neutralité vaut entre les Etats. Les pressions américaines pourraient augmenter massivement si l'on découvre en Suisse des comptes de terroristes. Blocher: Il ne faut pas qu'il y ait des comptes de terroristes en Suisse. Mais cela concerne aussi l'UÇK. Le concept de neutralité perpétuelle est plus actuel que jamais. Les pressions montent contre la Suisse à cause de ses relations passées avec l'Afrique du Sud. Vous aussi avez des relations sud-africaines. Vous étiez président de l'ASA (Arbeitsgemeinschaft Südliches Afrika). Blocher: Je l'ai cofondé. Ce groupe de travail ne couvrait cependant pas l'Afrique du Sud mais l'ensemble du sud de l'Afrique. Pendant la guerre froide, c'était une région d'une extrême importance stratégique. Nous avons fondé l'ASA pour analyser la situation. Il ne s'agissait pas d'une organisation économique. Ems-Chemie a-t-elle fait des affaires avec l'Afrique du Sud? Blocher: Non, car il n'y avait pas d'entreprises qui avaient besoin de nos produits. J'ai visité le pays pour la première fois en 1987. L'ASA n'était pas pour l'apartheid; nous pensions cependant que c'était le pays lui-même qui devait l'abolir. Mon meilleur souvenir avec l'Afrique du Sud remonte à une visite en Suisse du ministre Willem De Klerk à l'époque où Pieter W. Botha, qui défendait l'apartheid, était encore en place. Le Conseil fédéral s'était refusé de le recevoir. Alors j'ai pris la relève. De Klerk disait à l'époque qu'il mettrait un terme à l'apartheid. Quand il a succédé à Botha à la présidence, c'est ce qu'il a fait. Les relations entre Peter Regli et les services secrets sud-africains doivent-elles faire l'objet d'une enquête? Blocher: Oui, bien sûr. C'est ce que fait Samuel Schmid. Les services de renseignements ne doivent faire que ce qui est permis. Faut-il instaurer une commission d'enquête parlementaire? Blocher: Ça non. Mais si le parlement en veut une, qu'il l'ait.
23.09.2001